Comment voir venir le burnout, ne pas y entrer, y échapper, y survivre et en sortir ?
Cet article est destiné aux victimes, à leurs entourages ainsi qu’à leurs (rares) manageures préoccupés par la question.
Je ne me lancerai pas ici dans une définition savante du burnout et de sa typologie, ni dans l’explicitation du processus psychologique qui mène inexorablement à une profonde détérioration des capacités mentales et sociales de la victime.
Wikipedia propose par ailleurs une étude très riche (Syndrome d’épuisement professionnel) des définitions, des formes et des théories explicatives des différentes sortes de burnout. Mais il avance bien peu d’éléments de solutions pour ceux qui s’y trouvent empêtrés à un degré quelconque d’une façon ou d’une autre. C’est le sujet essentiel de cet article.
Le burnout avéré est clairement marqué par un délaissement rapide et profond, parfois fulgurant, de l’intérêt pour la chose qui la veille occupait toutes les préoccupations et dévorait les énergies. Cette défection peut prendre toutes les formes : abandon de poste, cessation de toutes les communications, rupture inexpliquée des relations et des amitiés, oubli de soi, perte de tous les goûts, désorganisation totale, apathie générale, incapacité physique et psychique, sous-alimentation, errance, disparition...
Toutes les situations de burnout sont différentes et répondent à des ressorts hétéroclites mais la plupart des très nombreux cas que j’ai rencontrés sont lisibles avec un même bout de « fil rouge », celui de la fuite salutaire anticipée.
Mon propos est plutôt de nature stratégique. Il s’agit ici de développer quelques repères d’observation et d’analyse à partir de nombreux cas vécus, ainsi que des pistes de solutions.
Pour l’essentiel, il concerne les burnouts les plus fréquents, liés à une surcharge d’activité et/ou une pression psychologique et sociale quasi ingigeste pour la victime.
Nous ne sommes pas égaux face à la pression
Dans une même situation de pression, de charge abusive, voire de harcèlement, certaines personnes en supportent beaucoup mieux que d’autres le poids et les effets dans la durée. Celles-ci ont d’une part des capacités d’implication et de travail supérieures aux autres et d’autre part de puissantes capacités d’indifférence aux agressions psychologiques.
Quand la pression exercée par l’environnement atteint leur seuil de résistance ordinaire, qui est déjà très élevé, elles peuvent réagir à la situation par une défense pugnace, la rébellion, la fuite, la confrontation sur le terrain du droit social ou tout autre moyen leur permettant d’interrompre le débordement et les souffrances qu’il pourrait entraîner. Elles font rarement de burnout puisqu’au pire elles peuvent quitter. Tout simplement.
D’autres, foncièrement moins résistantes, subissent le même fardeau avec des coûts, mental, énergétique, physiologique et temporel plus importants qui finissent par les dévorer.
Malheureusement, certaines d’entre-elles peuvent paraître, ou se croire, être des personnes « fortes » ; suffisamment pour s’accrocher à la situation et tenter de repousser infiniment leurs limites.
Coincées entre une pression toxique (pour elles) et l’obligation de rester, elles justifient souvent le rejet de l’option « fuite » par la « nécessité ». Il leur serait impossible de quitter la situation pour des raisons économiques, carriéristes, sociales, etc.
Elles s’enferment alors dans la croyance qu’elles vont « tenir le coup coûte que coûte ». Cette croyance est renforcée par le fait que, chaque jour un peu plus elles tiennent effectivement le coup (pour l’instant). Leur croyance est entretenue par la projection qu’en poursuivant sur le même mode d’escalade, ça marchera encore demain, après-demain et ainsi de suite.
Comme si elles n’avaient aucune limite.
La distorsion entre le coût vital de ce qu’elles assument et les ressources propres qu’elles sont capables de régénérer, s’accentuant imperceptiblement, creuse progressivement un déficit énergétique et mental qui les mène inexorablement à la rupture physique et psychique.
Face à ce processus tout le monde a un seuil de rupture, mais pas au même degré.
Celui-ci dépend de nos capacités de résilience, de sommeil, de récupération, d’activation, de communication, et aussi physiologiques, motrices, kinesthésiques, stratégiques et tactiques, sociales, comportementales…
Ce n’est donc pas la pression seule qui génère le burnout, c’est tout autant la réponse que la personne parvient (ou pas) à lui donner.
Le burnout est donc le résultat de la conjugaison d’une surcharge vécue comme abusive et d’une incapacité de la personne à l’absorber et/ou s’y opposer d’une façon ou d’une autre, dès lors qu’elle a franchi son seuil d’équilibre.
Enfin, le burnout professionnel recouvre parfois tout simplement une dépression latente, dont les origines sont ailleurs, qui trouve dans la situation sociale un terrain d’expression et/ou de purge, ceci permettant parfois d’éviter la révélation d’autres causes.
Le champ professionnel en devient alors l’exutoire quoiqu’il ne porte en l’occurrence d’autre responsabilité qu’être le déclencheur malvenu d’un mal-être beaucoup plus profond.
Malheureusement, il existe même, à la marge, des personnes qui peuvent « s’inventer » un enfer dans des situations ordinaires de confrontation normale, de désaccord, voire de communication difficile.
Dans ce cas le burnout développé est généré par des ressorts psychopathologiques totalement étrangers aux données de la situation.
Equation personnelle d’un possible burnout
En somme, le burnout est le résultat d’une composition de facteurs propres à chacun et externes, qui combine : Pression – nécessité (de rester dans la situation) – vécu de la situation – résistance – capacités d’aménagement et de gestion – isolement et ressorts psychologiques.
Il est d’autant plus dur à empêcher et à réparer (inéluctable, toxique, long et difficile) que les éléments initiaux de l’équation sont plus intenses et rigidifiés.
Par nature, le niveau de pression effectif ne dépend pas de l’individu, contrairement aux autres paramètres. On pourrait croire que les contraintes de la « nécessité » lui échappent également, mais ce n’est pas tout à fait vrai. On a souvent plus de choix que présupposé. On y reviendra.
Naturellement, l’augmentation de la pression exercée par le système bouscule les autres paramètres de l’équation. Elle les exacerbe, les dégrade ou les fait exploser. Le burnout survient au moment où tous ces facteurs craquent en chaîne et ne permettent plus à la personne de s’accommoder de sa situation ni de la gérer efficacement.
Mais un autre facteur peut contribuer à le déclencher : l’usure, exacerbée par la conviction que la souffrance induite est définitivement irréductible.
Parfois, une faible accentuation de la pression perçue peut suffire à amorcer le burnout si elle s’inscrit dans un état d’usure répétitif et accablant, telle que la souffrance augmente à la longue, comme un frottement ténu peut créer une ampoule au talon qui finit par crever.
De nombreux burnout apparaissent donc sans que rien n’ai changé en apparence : ce sont les ressources de la personne qui se sont délitées insidieusement, et principalement son endurance, souvent sans qu’elle-même n’en ait conscience.
Car, s’il se révèle fréquemment assez soudainement, le burnout ne nait pas d’un seul coup. Plus ou moins probable, presque toujours indicible, il est généralement l’aboutissement d’un long processus de maturation correspondant à la dégradation des fonctions sociales, affectives, conatives, psychologiques, psychiques et opératoires.
Noyade
L’hypothermie et la fatigue auront finalement raison de toute personne tombée à l’eau en pleine mer et abandonnée à son sort. Excellente nageuse, préparée et surentraînée, elle survivrait probablement plus longtemps ; mais pas indéfiniment.
Pour le quidam moyen, dans les mêmes conditions, la noyade est certaine. La respiration entravée, le métabolisme s’effondrant, la musculature devenue inopérante, les ressorts neurologiques progressivement éteints, il finit par se laisser aller à une inertie irrépressible et coule.
Unique solution, l’extraire de l’eau ! Si quelque navire passe par là et s’il en est encore temps.
Et quand bien même on lui offrirait quelques heures de répit en lui proposant une bouée, il n’en resterait pas moins immergé pour l’essentiel ; et encore soumis à l’hypothermie.
Les victimes d’un burnout professionnel subissent quelque chose de la même sorte. Certes, elles ne restent pas présentes sur leur lieu de travail le soir, pendant le week-end ou durant leurs congés.
Mais leur travail est en elles, il les poursuit, il les ronge du dedans en étendant insidieusement ses dégâts au milieu familial et social.
Pire, il les mine d’autant plus lors de ces moments de faux répit que, s’en trouvant à distance, elles perdent le contrôle immédiat de la situation professionnelle, ce qui creuse leur angoisse.
Quelle qu’en soit la nature, le ressort engendrant le burnout est comme un poison pénétrant durablement le psychisme de sa victime et il ne la quitte plus.
La personne se projette dans son activité invasive en permanence, indépendamment de son entourage du moment, amis, famille, loisirs, vacances etc.
C’est pourquoi elle tend à ignorer ce dernier, le délaisser, voire à le fuir. Il est comme entaché.
Elle ne le perçoit plus comme un espace de récupération, de repos, de régénération, mais comme un facteur d’entrave supplémentaire entre elle et son affaire, une source de distorsion qui lui complique un peu plus la vie. Une autre pression ajoutée à la première.
Et comme le noyé auquel il est inutile de dire qu’il doit tenir le coup, la victime du burnout n’entend plus rien de ce que lui dit son entourage… et, de toute façon, ne pourrait rien en faire. Le burnout rend sourd à la raison.
Car parvenu à un certain degré d’invasion de l’obsession « travail éreintant », il n’y a plus de réponse raisonnée possible au système de conduite dans lequel la victime est enfermée.
C’est pour elle comme une drogue.
Pas plus qu’il n’existe une réponse cognitive et/ou psychotechnique efficace que la personne elle-même pourrait opposer à une surcharge insoutenable d’activité mais assumée.
Et qu’on ne nous parle pas dès lors de « motivation » car la sur motivation nécessaire au dépassement est justement déjà en œuvre, abusive et responsable de la monstrueuse déviation ayant généré le burnout !
Un univers contracté comme un trou noir
En fait, la personne victime d’un burnout a progressivement rétréci son univers, son « monde » personnel, son champ de préoccupations, jusqu’à ce qu’il ne contienne plus que l’activité qui l’obsède et les conditions où elle s’exerce.
Si dans son monde il subsiste par force d’autres paramètres avec lesquels elle est impliquée (enfants, conjoint, maison, argent, club, santé…), ce sont pour elles, de plus en plus, des encombrants.
Sa hantise absorbe et consume toutes ses fonctions et ses capacités cognitives et affectives, son organisation, son temps, ses désirs, ses craintes, ses projets. Elle dévore sa psyché.
Ce phénomène de concentration du système d’intérêts de la personne sur son travail est un indicateur fort du risque de burnout. Le premier.
Soit cette concentration reste stable (elle est marquée mais ne s’aggrave pas) ; elle signifie alors clairement que la personne se trouve dans un état précurseur qui peut évoluer à tout moment comme une tumeur bénigne pourrait évoluer vers un cancer si elle se dégrade.
Soit elle s’accentue ; auquel cas cela signifie que le processus nocif est engagé. Et, à moins d’un retournement très favorable de la situation, elle mènera inéluctablement, plus ou moins vite, à un burnout déclaré.
Les mères célibataires déchirées entre le travail et les enfants
Il convient de remarquer ici que les charges supplémentaires générées par tous les autres éléments de la vie réelle, et tout particulièrement celles générées par les enfants, accentuent puissamment l’énergie destructrice des mécanismes de genèse du burnout.
Les femmes qui en ont seules la charge sont spécialement affectées par l’obligation de « tenir le coup pour les enfants », déchirées par l’anachronisme foncier des deux situations, professionnelle et parentale, prises dans une double culpabilité de ne pas pouvoir se consacrer suffisamment à leur job et simultanément à leur progéniture.
Evidemment, cette contradiction ingérable, en amplifiant la charge mentale de la mère sous pression sociale, la précipite d’autant plus rapidement vers le burnout qu’elle se sent pieds et poings liés dans l’impossibilité de délaisser l’une ou l’autre.
Malheureusement, il faudra bien que quelque chose casse à un moment ou un autre. Dès lors, que ce soit le job, la mère ou l’enfant, ce sera de toute façon ce dernier qui en pâtira in fine.
Ce raisonnement ne pouvant échapper à la mère, la fait malheureusement tenir jusqu’au désastre. Atroce cercle vicieux…
Sauf qu’il est faux. En réalité, la perte d’un job est toujours plus facile à réparer qu’un burnout et la cohorte de ses conséquences. Mais hélas, en l’occurrence, c’est plus facile à dire qu’à admettre pour une personne convaincue de ne plus avoir d’issue.
Aussi, la plupart des victimes fait le pari de résister aussi longtemps que nécessaire sans jamais craquer. Ces personnes s’enfoncent dans le déni du processus. Elles veulent se croire incassables, et surtout pas concernées par le risque. Dans leur esprit, la période est trop dure, c’est tout.
Burnout rampant
De toute façon on finira par « quitter » la situation, volontairement ou contraint par la rupture mentale. Le burnout est une réponse de sauvegarde de l’organisme face au refus obstiné de lever le pied.
Comme un disjoncteur coupe toutes les fonctions en cours pour sauver le système et éviter un incendie généralisé.
Cependant, la majorité des burnouts ne survient pas de façon soudaine, inattendue, brutale, dans un univers précédemment sans nuage. Ils adoptent souvent des progressions irrégulières, avec des à-coups, des hauts et des bas, des périodes de mal-être plus profondes et plus longues.
Ces variations tiennent à celles de la pression, des conditions, de l’entourage, de l’usure et des capacités de résistance.
Elles interviennent dans la pagaille et sans prévenir, comme les torons d’un câble lâchent les uns après les autres, entraînant simultanément l’affaiblissement général du câble et l’accentuation de la tension sur les filins qui subsistent, précipitant ainsi l’inéluctable échéance.
Et, quoiqu’il y ait des paliers de résistances, voire d’apparentes rémissions passagères, les fils cassés ne peuvent ni être remplacés, ni être compensés.
Pour la personne, à défaut de lâcher l’objet de l’activité obsessionnelle, ce sont ses organes, son cerveau et ses forces qui lâchent.
Faute d’une démission volontaire de la situation, c’est la personne profonde qui y oblige la personne, qui « la démissionne ». A une rupture sociale volontaire qui n’a pas lieu, elle substitue une rupture globale de ses fonctions sociales pour faire cesser le désastre.
Un bien mauvais pari dont l’issue est malheureusement certaine.
Mais la future victime refuse le plus souvent de lâcher la source de sa souffrance quoiqu’elle augmente. Elle fait le pari de l’infini supportable malgré son épuisement et tous les signes de dégradation qui s’accumulent.
L’obstination devient toxique. Les désordres et déséquilibres de toutes natures s’amplifient.
Plus la tempête se creuse, plus la personne « rationalise ».
Autrement dit, elle se trouve et consolide d’excellentes « raisons », toutes plus objectives et « responsables » les unes que les autres, pour persévérer.
La rationalisation verrouille toute capacité de libération en posant des interdits absolutistes à la séparation.
Pourtant, les prémices du burnout ressemblent étrangement à la situation d’une maison, encore fonctionnelle, au bord d’une falaise irrémédiablement rongée par les assauts des tempêtes successives.
Elle semble intègre mais son sous-sol miné en profondeur finira par l’emporter.
Le propriétaire refuse de l’abandonner car il y a investi une part essentielle de sa vie, de ses efforts, de ses ressources, de ses attachements et parce qu’il y trouve un point de vue exceptionnel réputé irremplaçable.
Il veut croire que par miracle l’effritement du trait de côte s’arrêtera pour toujours pile-poil au raz de la clôture du fond du jardin… Il reste donc, contre vents et marées.
Le burnout est pour le cerveau reptilien, contre les désordres du cortex frontal, un moyen d’affirmer un message du genre « il convient désormais d’arrêter les conneries ».
La méthode est certes brutale mais il ne lui reste guère d’alternative face à un entêtement sans issue ou la « raison » du sujet sert sa déraison.
De la difficulté de quitter
Pour sa sauvegarde, il conviendrait donc de quitter la structure, l’entreprise, le job, le milieu et peut-être le métier qui nous procure tous ces tourments, avant le chaos.
C’est là où ça se complique car de multiples raisons nous retiennent.
Tout d’abord, il est extrêmement difficile d’abandonner, au milieu du gué, toutes les attentes, les motifs et les constructions pour lesquels on s’est investi corps et âme, généralement depuis plusieurs années : promotions, reconnaissance, carrière, responsabilités, rémunération, avantages, voyages, retraite, position, notoriété, réseaux…
Et, conjointement, il faudrait dans certains cas accepter de perdre une activité dont on appréciait la nature, pour laquelle on était très compétent et dans laquelle on pouvait s’affirmer.
Et probablement perdre en même temps des liens affectifs, des relations professionnelles gratifiantes, des contacts précieux dont les finalités se dissiperaient dans la séparation. Il faudrait même dans certains cas repartir de zéro et repasser par la case formation…
Un départ est d’autant plus difficile qu’il provoquerait un chamboulement souvent conséquent dans un écosystème personnel laborieusement réalisé : moyens économiques de la famille, engagements financiers, lieu de vie, contraintes immobilières, impacts sur les proches, nouvelles distances, reconnaissances de l’entourage, réputation, activités sociales et culturelles périphériques, etc.
Et puis, et surtout, il faudrait faire face à l’inconnu, à l’incertitude, au risque de déclassement, de déchéance, de ne pas savoir ou pouvoir rebondir, de devoir traverser des déserts.
Ce n’est pas tout : il est extrêmement fréquent que la personne qui vit les débuts d’un « syndrome d’épuisement professionnel » éprouve au fond d’elle-même une certaine forme de culpabilité.
C’est peut-être de sa faute, elle n’en a pas fait assez, ou pas assez bien, elle a raté des opportunités… Elle a des doutes non exprimés sur son efficacité, ses compétences, sa valeur intrinsèque, ses capacités et, au-delà, sur ses aptitudes à faire autre chose.
Quitter serait une sorte de désertion, l’abandon d’une mission pas vraiment accomplie. Au fond, la personne mérite-t-elle mieux ? Elle partira peut-être… quand elle aura tout fini, tout réussi. Autrement-dit, entre nous, jamais si rien ne l’y oblige !
Les coûts apparents du départ sont donc potentiellement et apparemment considérables.
Il faudrait pourtant, en toute logique, les peser vis-à-vis de ceux d’un burnout. En n’oubliant pas, ce faisant, qu’un burnout nous fera perdre tout ce qu’on croit devoir et pouvoir préserver (au travail et ailleurs) en s’acharnant, et bien plus.
Il nous fera bien pire encore car on en sortira, au mieux, péniblement, pour longtemps, lessivé, déstructuré, déconnecté, sans ressort, sans ressources ni perspectives.
Ce n’est pas le cas si on a choisi la rupture délibérée.
Ce calcul est imparable. Mais une sournoise difficulté à l’admettre se trouve hors du cadre du problème : on ne croit pas au risque de burnout tant qu’on n’y est pas tombé ! Il est pour les autres. La preuve, moi je tiens bien ! Pourquoi m’en prémunir ?
Evaluation du risque
Vu avec un peu de hauteur, la problématique principale réside finalement dans l’évaluation du risque.
Malheureusement, la personne « à risque » n’est, par définition, pas pertinente pour le déceler par elle-même. Car c’est justement son aveuglement qui la mène dans le mur.
Sinon, elle aurait levé le pied et/ou pris ses distances bien plus tôt, alertée par les signaux désagréables et délétères d’une situation manifestement toxique.
Le plus souvent, elle les ignore résolument, ne veut pas les relever et refuse de les interpréter comme des indicateurs de danger.
Hélas, à défaut d’entrevoir son infortune, il serait sensé et malin pour elle de consulter un expert capable de lui restituer une image peut-être douloureuse et contrariante mais hélas juste du péril potentiel.
Cela-dit, il n’est pas rare qu’une personne s’en inquiète d’elle-même et se pose la question d’un éventuel burnout.
Dans ce cas, par le simple fait de se la poser, elle connait la réponse : elle a bel-et-bien un pied dedans ! Reculera-t-elle ?
La vraie question qui subsiste alors est de savoir quand le reste de sa personne va basculer dans la pente, de connaître l’échéance et la profondeur du plongeon final. Si elle persiste évidemment.
Hors du champ professionnel, la probabilité d’un burnout peut être révélée par l’apparition nouvelle, fluctuante et cumulée de certains signes chez sa future victime.
Epuisement, tristesse, maux récurrents, sommeil en miettes, cogitations, incapacité à récupérer, boulot omniprésent dans les pensées, incapacité à faire autre chose tranquillement, nervosité, agressivité, susceptibilité, violentes sautes d’humeur pour des vétilles, longs moments d’apathie, versatilité, exposition irrépressible et tardive à la télévision, cessation d’activités de loisirs appréciées d’habitude (lecture, jeux, sorties, pêche, mots croisés, cuisine…), incapacité à supporter le moindre bruit, isolement fréquent, difficulté à écouter la fin des phrases dans une conversation, oubli systématique de ce que disent les autres, négligence de certaines tâches, dispersion, hésitations, difficulté à décider.
Pour compléter ce tableau, apparaissent des symptômes aléatoires de perte des capacités de concentration et de réflexion de plus en courantes et prononcées. La lecture et l’écriture sont affectées, plus laborieuses, voire, le goût pour elle complètement tari y compris chez des intellectuels actifs.
Le recours soutenu aux drogues de toute sortes, banales ou illicites, depuis la caféine jusqu’à la cocaïne et ses nouveaux dérivés, est également un excellent indicateur de plus en plus présent.
Simultanément, dans son rapport aux autres, apparaissent les reproches faits à l’entourage de ne pas la comprendre, de ne pas l’aider, de lui mettre la pression, d’être égoïste. Surviennent l’échappement aux activités partagées, l’indifférence aux problèmes des autres et le refus d’évoquer la réalité de ce qui se passe au travail.
En famille, le « problème du trop pour le travail » devient un sujet tabou, génère des tensions et enclenche des disputes récurrentes. Bien qu’elle exprime sa grande fatigue de façon quasi permanente, la personne aux prémices du burnout s’irrite souvent des remarques et des suggestions visant à réduire son hyper engagement professionnel.
Elle le justifie farouchement, soit, paradoxalement par la défense des intérêts de la famille (revenus, standing, pérennité, équilibre social et litanie des risques liés aux changements), soit par les exigences de sa réalisation personnelle et professionnelle qui serait condamnée à une mort quasi certaine si elle envisageait de réduire la charge.
Indicateurs précurseurs du burnout au travail
Il y a d’abord les repères banalisés, également visibles pour la famille : horaires exorbitants, invasion des week-ends, appel reçus et émis à toute heure.
Dans le travail : compensation sur le mode pompier des bourdes et des défauts des autres, « urgences » empilées et anachroniques, hyper vérification, courses en tous sens, perfectionnisme, dispersion, tension, « charrette », monologues, mutisme, susceptibilité, multiplication de conflits inattendus, disparition du sourire…
L’efficience productive de la personne en phase de burnout (c’est-à-dire le rapport entre la performance obtenue et l’énergie dépensée) se dégrade progressivement à cause de sa grande fatigue physique et psychique et sa cohorte irréductible d’oublis, de confusions, de défauts de concentration, d’erreurs tactiques, d’erreurs de jugement, de fautes techniques, de ratés dans les communications en tout genre, etc.
D’une façon générale, malgré la grande variété de leurs personnalités et de leurs motivations, les victimes d’un burnout tolèrent largement les comportements dégradés et abusifs de la part de collègues ou de la hiérarchie.
Elles obtempèrent sans s’opposer aux charges abusives et à la pression. Elles évitent systématiquement les confrontations et même de simples différends. Elles encaissent, se taisent et s’exécutent quoiqu’elles éprouvent.
Elles assument des tâches hors de leur périmètre, compensent les incuries, réparent les effets néfastes des défauts et des déficits dans les activités des tiers. Elles vont même parfois jusqu’à protéger les bras cassés et refusent de dénoncer des comportements toxiques.
Elles sont donc particulièrement exposées aux exactions des personnalités toxiques, surtout lorsqu’elles sont dépendantes d’un hiérarchique pervers.
Face à une organisation et/ou une hiérarchie tyrannique.
Le ressort de leur soumission (et du burnout qu’elle entraîne) est quasiment toujours une peur viscérale liée à la pérennité et l’évolution de leur emploi. C’est vrai pour des cadres supérieurs autant que pour des emplois basiques.
Ces personnes vivent une terreur sourde au quotidien, elles sont comme en prison.
Comme elles acceptent sans broncher de porter les charges des autres en plus de la leur (surtout de ceux qui savent se rendre inopérants), leur hiérarchie n’a pas le moindre état d’âme à les surcharger. Car il lui est toujours plus facile de faire bosser une personne soumise qu’une personne réfractaire.
En réalité plus elles en acceptent, plus on leur en met sur les reins. La charge appelle la charge.
Et pour pouvoir en rajouter encore à moindre frais, leur management en fait souvent la mule de tête du troupeau qui, outre qu’elle en porte davantage, tire les autres, résout les problèmes de toutes sortes, l’informe et lui sert de fusible.
Et, le croirez-vous, il ne se prive pas de l’incriminer au plus petit défaut.
Ces personnes « faciles », ultra bosseuses et impliquées sont donc souvent désignées chef de file, de groupe, d’atelier...
Elles le vivent comme une reconnaissance mais ce n’est que leur servilité et leur hyper-productivité qui sont reconnues.
Donc, par dessus le poids des charges de production s’empile celui des problèmes et des responsabilités dont le management se défait sur leur dos.
Cerise sur le gâteau, il est peu couteux pour des hiérarques abusifs, de leur laisser miroiter des lendemains enchantés (qui n’arriveront jamais) : elles sont tellement utiles et exploitables là où elles sont, donc irremplaçables à leur niveau de servitude.
Ceci explique pourquoi, à leur grand désarroi, au moment où elles attendaient naturellement une promotion, leur direction les chapeaute systématiquement d’une couche de management supplémentaire, par un nouveau « responsable » dédié à leur champ d’activité,nettement moins compétent mais qui se met à la fliquer comme elle ne l’avait jamais été auparavant !
Souvent maltraitées, sous payées, dans un statut inférieur à leur activité effective et/ou leur qualification, elles se pensent condamnées à toujours en faire plus pour obtenir ce qui leur serait dû. Le monde serait ainsi fait, il n’y aurait pas d’échappatoire.
Mais c’est dans tous les cas un calcul illusoire. Si la personne se trouve dans une telle situation, ce n’est pas sans raison : sa gouvernance est boulimique et sans scrupules ; elle ne changera pas. Elle la fera suer jusqu’à la dernière goutte.
La hiérarchie, de proximité et intermédiaire, est justement en place pour pressurer au maximum les acteurs. Les N+1 et N+2 ont été systématiquement sélectionnés (au plan individuel) pour leur besoin irrépressible de contraindre les subalternes.
Ceci est facile à démontrer : il suffit de faire la comparaison avec des situations de managés similaires dans des entreprises du même secteur, qui ne subissent aucune hypertrophie des charges.
Dans ce cas, l’unique solution pour s’épanouir enfin est d’oser changer de crèmerie. Le reste n’est que leurres.
Face à une organisation et/ou une hiérarchie « ordinaire ».
C’est-à-dire pas plus abusive qu’une autre mais qui, l’air de rien, profite allègrement de leur surinvestissement, d’autres victimes s’imposent par elles-mêmes une énorme pression, seulement fondées sur la crainte de ce qu’« on » pourrait leur reprocher, leur dire, ou penser d’elles. Quoique personne ne les rabroue jamais vraiment.
En fait, la victime de ce type est enfermée dans une double croyance :
elle ne peut pas réduire son engagement et son implication sans risquer d’échouer dans sa « mission », son devoir, ses obligations professionnelles.
elle fait tout ça pour les autres (clients, équipe, collègues, partenaires…) qui sans ses efforts vont nécessairement être délaissés, déçus, maltraités.
Autrement dit, concrètement, elle tente de compenser spontanément toutes les défaillances du système et des tiers, dans un champ très élargi autour de son périmètre.
Elle ne supporte pas d’assister à la moindre carence sans vouloir y porter remède. Laisser ce truc pourrir sur pied ? Hou la vilaine ! Impossible ! Elle se jette dessus. Au nom de sa « conscience professionnelle », « on prend tout sur soi ».
Il y a ainsi parmi les victimes du burnout, un type très spécial d’autodestructeurs : les « sauveurs » invétérés. Hommes et femmes orchestres, irremplaçables loups-blancs, saints et saintes d’entreprise, serviteurs ultra zélés, qui se « défoncent » pour la chose, pour la cause…
Ceux-là portent la structure à bouts de bras, se sentent responsables de sa notoriété, de ses résultats, de sa survie, du bien-être de ses acteurs, comme si le reste du système n’y était pour rien.
Mais, dans la réalité, derrière cet assaut d’humilité apparente, se cache paradoxalement un syndrome de toute puissance qu’il serait bon de révéler ! Voici une drôle de prétention : porter les obligations assignées aux autres !
Dans la plupart des cas de ce genre, ceux que j’ai eus à traiter, le surmené rédempteur finit par confondre sa personne avec l’entité. Quoique salarié, si la boîte va mal, il est comme gravement blessé.
La fusion identitaire entre une personne et la structure (ou l’association) qui l’emploie est génératrice de burnout si la machine a des ratés. Et elle en a souvent.
Cela-dit, ça n’affranchit pas la hiérarchie de son devoir de protéger les personnels, y compris contre leurs propres tendances stakhanovistes.
Evidemment, la rencontre (pas toujours fortuite) entre un management tortionnaire et une personnalité sacrificielle ne peut que la mener au bord du burnout.
Résistances
Il existe aussi d’autres burnouts générés par un besoin dévorant d’affirmation et/ou de valorisation professionnelle au travers de :
la recherche de l’expertise ultime ; celui-là veut être sur toutes les photos, dans toutes les recherches, tout maîtriser, tout apprendre, tout montrer, tout réussir mieux que les autres…
le perfectionnisme,
l’acquisition de toujours plus de pouvoirs ; être élu partout, s’emparer de tous les postes décisionnaires, contrôler, rédiger, dicter…
l’obsession centralisatrice (si c’est moi qui le fait, ce sera toujours mieux fait) ; incapable de déléguer, il s’empare également des projets, des fonctions et des tâches de sa hiérarchie, de ses collaborateurs, de ses fournisseurs, de ses partenaires…
la course à la fortune et/ou à une sécurité économique boulimique ; c’est souvent le cas des petits patrons qui sont finalement leur propre bourreau et celui de leur entourage.
Enfin, il y a aussi tout simplement les grands malades de l’activité en tant que telle. Insatiables, ils ont cent projets sur le gaz, douze chantiers en cours, et mille autres dans la tête, sont partout à la fois. Seule une autre maladie, invalidante, pourra les arrêter. Un beau jour ils s’effondrent.
Naturellement, tous les mélanges sont possibles.
Dans tous les cas, l’entourage professionnel et professionnel dispose, autant que la personne elle-même, de tous les indicateurs du risque. Tous pourraient le mesurer de façon factuelle.
Comme pour un tremblement de terre, la seule chose que les uns et les autres ignorent est le moment exact où surviendra le « craquage ».
Et, pour toutes les raisons évoquées précédemment, il est extrêmement difficile à prévenir.
L’expérience montre que les personnes concernées sont en général particulièrement réfractaires aux discussions sur ce sujet, aux conseils de lever le pied et encore plus à l’idée de la démission, quelles qu’en soient les modalités.
Osons le dire, elles sont animées dans leur résistance et leur obstination par des motivations foncièrement égocentriques ; sans l’admettre. Dans leur équation, quoiqu’elles en disent, elles ne prennent plus du tout en compte les besoins et les intérêts de leurs proches, ni de qui que ce soit.
Elles restent arcboutées sur le motif fondateur de leur obsession, quasiment toujours sous-tendu par une peur non identifiée.
Le burnout est un bien triste gâchis qui pourrait souvent être évité. Cela-dit, dans certains cas, il peut éviter bien pire, un AVC, un suicide, une agression, une interminable déchéance…
Une salutaire fuite préventive.
Il arrive pourtant que des victimes désignées, prenant soudainement conscience de l’aberration de leur situation, de son coût prohibitif et du danger qui les menace, décident de rompre pour leur sauvegarde et celle de leurs proches.
Et simultanément pour s’offrir un nouveau départ pour une autre vie, plus gratifiante sinon plus prestigieuse et souvent moins bien rémunérée, mais tant pis !
Dans l’immense majorité des cas, elles s’en sortent plutôt bien.
Entre deux fuites, elles ont opté pour une fuite volontaire, préventive, organisée, sinon totalement maîtrisée.
Le premier bénéfice qu’elles en tirent est de préserver à la fois leur santé, leur lucidité, leurs capacités affectives et sociales, ainsi que l’essentiel de leurs relations et une partie conséquente de leurs moyens matériels et financiers.
Le second bénéfice à une fuite délibérée, et non des moindres, est la conservation de leurs capacités mentales et l’accroissement considérable de leurs capacités stratégiques. Non seulement elles sont libérées dans tous les sens du terme, mais elles peuvent reprendre la main sur leur histoire, leur vie, leur sort.
En pouvant se projeter de nouveau dans la durée, elles peuvent reconstruire progressivement une politique de vie ouverte, plus profitable pour elles et leurs proches, en adéquation avec leurs appétences, leurs valeurs et leurs besoins fondamentaux.
On a toujours le choix, à partir du moment où on est enfin prêt à perdre quelque chose d’important, quitte à abandonner ce que la veille on considérait comme absolument indispensable.
Les personnes qui sont prises dans le processus précurseur du burnout sont de fait prisonnières d’une camisole mentale dont les chaînes sont constituées d’une « nécessité » impérieuse. Elles ne sauraient, croient-elles, se passer de celle-ci sans que leur vie soit fichue.
Pour s’en libérer, il conviendrait de briser la chaîne ; autrement dit faire l’abandon de cette fameuse nécessité absolue quelle qu’en soit la nature (finances, carrière, standing, image, pouvoir, reconnaissance, notoriété, lieu de vie, etc.).
Dès lors qu’on recouvre sa liberté, tout redevient possible, autrement.
Que peut faire l’entourage en amont ?
Avant le craquage, il y a la souffrance quotidienne. Il conviendrait de l’écouter et simultanément d’identifier la peur qui retient la victime dans une situation délétère.
Mais comme on l’a vu, les discours ont peu d’effet sur les certitudes nocives vissées au fond des tripes. Argumenter et répéter ne feront qu’envenimer l’exaspération du sujet.
Il faut donc prendre le problème par un autre bout.
Autant que possible, le conjoint (et/ou les autres adultes de la famille) peut tenter de modifier les conditions et le cadre dans lequel le problème se pose. Ceux qui sont à sa portée.
C’est-à-dire réviser tout d’abord les paramètres sociaux et économiques de l’équation familiale :
réduire la part de la rémunération du « travaillomane » dans le revenu global de la famille,
démontrer par les faits qu’on peut vivre aussi bien, mieux, autrement, en gagnant moins.
disqualifier – du point de vue des autres membres de la famille - les motivations liées à la peur centrale de la personne impliquée,
signifier de façon explicite que, suite à sa démission, on pourrait sans dommage changer de vie
déménager, renoncer à des loisirs ou des habitudes…s’organiser et se préparer pour une évolution professionnelle facilitant celle de la personne en danger,
faire pour elle, par soi-même, des recherches de possibilités de reconversion, en étudier les modalités et les valoriser comme un projet concret.
L’expérience montre que ça prend du temps mais que ça marche assez souvent.
Une course de vitesse s’établit entre la maturation du burnout et l’inflexion progressive des certitudes de la victime.
Mais soyons honnête : toute tentative d’inflexion est irrémédiablement condamnée à l’échec si l’entourage oppose ses propres exigences égoïstes à la victime.
Si vous voulez aider votre esclave du boulot à s’en sortir, il vous faudra probablement accepter des arrangements (provisoires) aux dépens de vos préférences. L’incapacité à le faire explique pourquoi tant de couples implosent avec un burnout.
« On » était tourmenté de ne pouvoir le convaincre ni l’aider mais, simultanément, on n’entreprenait rien de décisif pour lui ouvrir une issue crédible ; tout en lui reprochant aigrement ses absences, son détachement, son aliénation. L’huile sur le feu.
Des burnouts ont lieu parce que la victime n’a jamais osé dire sa souffrance à sa famille. Elle a tu son angoisse, son désir d’arrêter, sa crainte de remettre en cause les moyens et le statut qu’elle lui procure. Elle sait qu’elle ne serait ni écoutée, ni bien reçue, ni suivie et surtout pas soutenue ; mais plutôt querellée et culpabilisée.
Le traitement préventif du burnout passe donc par la qualité de la relation affective dans le cocon familial, une écoute inaltérable en toutes circonstances, la bienveillance mutuelle, la solidarité, l’empathie sans défaut.
Parvenir à ce que la personne en parle librement est un premier pas déterminant sur le chemin de la solution.
Cela-dit, quand le ou la conjointe a fait tout ce qui était humainement possible pour créer les meilleures conditions à une alternative viable, si la personne travaillomane persiste, il n’est pas juste de se sacrifier corps et biens pour le fantôme d’un partenaire qui fonce aveuglement droit dans son mur.
Le conjoint peut alors légitimement décider sa propre fuite pour sa sauvegarde et parfois celle des enfants.
« Savoir quitter » est une compétence sociale qui se cultive. Elle fait cruellement défaut aux victimes désignées d’un burnout.
La morale ordinaire a plutôt tendance à condamner spontanément ceux qui rompent facilement, réputés lâches, inconstants, irresponsables, manquant de pugnacité… Mais ils ont le plus souvent raison de renoncer à des situations qui ne leur conviennent pas.
De toute façon, quand bien même ce serait à cause de leurs fragilités et s’ils ne réaliseront jamais ainsi rien d’exceptionnel, ils s’évitent des souffrances inutiles.
Somme-toute, ce faisant, ils peuvent se nourrir de petits bonheurs qui ne sont pas plus ridicules que la poursuite acharnée et funeste de réussites grandioses et illusoires.
Pourquoi part-il ? Nous dit-on. Il avait pourtant une si « belle situation », bien payée et tout et tout, qui ferait envie à d’autres.
Pas si belle probablement ! Il s’est sauvé, dans les deux sens du terme. Il a bien fait.
La victime d’un burnout n’est pas coupable d’avoir craqué, pas même d’avoir mal vécu la situation. Elle est seulement responsable d’avoir persisté dans le déni du risque et dans un mode de fonctionnement délétère.
Le craquage est un accident. Comme un accident de la route dont la survenue est prévisible si on conduit trop et régulièrement en manquant de sommeil, et dont on peut s’attendre à ce qu’il finisse par arriver.
Il peut également être plus ou moins grave et laisser de lourdes séquelles.
Mais quand il arrive, il n’est plus temps de se perdre rétroactivement en conjectures, il convient de se soigner, de soigner le blessé.
On entre là dans une véritable gestion de crise.
La victime a besoin d’attention, de soutien, de protection, de soins. A ce moment elle a perdu ses moyens et ses défenses, ses repères et ses capacités d’analyse, de décision.
Elle a en quelque sorte brutalement régressé ; elle a besoin d’aide comme un enfant perdu.
Il est donc parfaitement contre-productif de la sermonner et dérisoire de faire à appel à sa volonté ou à son raisonnement. Elle n’y est plus, elle est ailleurs.
Elle doit réapprendre patiemment beaucoup de choses, retrouver doucement le goût et l’intérêt, peu importe pour quoi. S’éveiller peu à peu.
Pour parler clairement, il faudrait qu’elle soit prise en charge à tous points de vue pour pouvoir en sortir le plus rapidement possible, c’est-à-dire pas tout de suite en l’occurrence.
Le problème n’est pas uniquement d’ordre psychologique, il attend des réponses fortes dans des champs beaucoup plus larges : économique et financier, social, matériel, immobilier, stratégique, relationnel, professionnel, organique, géographique, etc.
Aux différentes étapes du processus, en amont, pendant et après, les proches n’ont pas nécessairement les compétences pour gérer et résoudre seuls le phénomène.
Pour la famille, en prise dans les interactions de toute nature, les effets et les enjeux de la situation, il est bien difficile de raisonner posément et de conduire efficacement une relation fortement dégradée et parfois toxique.
Il peut être pertinent de chercher une aide extérieure pour :
évaluer la situation et le risque,
identifier les ressorts de l’acharnement,
décoder les facteurs aggravants et/ou bloquants dans l’organisation familiale,
retrouver un discours audible et positif pour la personne à risque,
élaborer une stratégie pertinente, accompagner efficacement la rupture et la reconversion
Et au-delà, quand le craquage a eu lieu, gérer au mieux la crise, ses contrecoups et le redressement.
Evidemment, quand elle conçoit le risque, ou tout simplement pour échapper à une situation insupportable, la personne elle-même peut demander de l’aide.
Plus elle le fait tôt, moins elle s’enfonce, plus la chose peut se résoudre efficacement et en préservant la plupart de ses enjeux prioritaires.
A ce stade précoce, on peut organiser des « fuites » construites, malines, assez rapides, qui satisfont puissamment les besoins essentiels de la personne. On peut même parfois y réussir en embarquant la hiérarchie dans la solution, il suffit pour cela d’user de quelques ressorts tactiques qui ont fait leurs preuves.
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